A sa sortie, le film l'Odyssée de Pi, réalisé par Ang Lee, avait été unanimement salué par les critiques, notamment pour la qualité de ses images de synthèse.
Récoltant quatre oscars dont celui du meilleur réalisateur, le film avait rencontré un large public, conquis par ce conte merveilleux faisant évoluer sur une barque un jeune Indien et un tigre, appelé "Richard Parker".
Mais la technique n'est parfois pas suffisante, et King, un tigre du Bengale en chair et en os, avait été utilisé à plusieurs reprises sur le tournage pour donner vie à l'animal à l'écran. "Une des scènes avec lui a très mal tourné, et il s'est épuisé en essayant de nager vers le bord [...] Le pauvre a failli se noyer".
Ce message a été rédigé par Gina Johnson, une contrôleuse de l'American Humane Association (AHA). Plus loin dans le mail, on peut lire "évidemment n'en PARLE A PERSONNE, SURTOUT PAS AU BOULOT ! [...] J'ai minisé à mort sur ce coup".
En tant que surveillante de l'AHA, Gina Johnson est pourtant celle qui a permis au film de pouvoir inscrire dans son générique de fin la mention "Aucun animal n'a été maltraité durant ce tournage".
Cet échange de mails, publié par The Hollywood Reporter, n'est qu'un élément d'une longue enquête consacrée par le site à la supercherie qu'est le label contre la violence faite aux animaux sur les tournages américains.
Et la liste des exemples donnés par le site est longue : 27 animaux tués pendant le Hobbit de Peter Jackson, un husky maltraité sur le tournage du Disney Antartica, un tamia accidentellement écrasé devant Matthew McConaughey et Sarah Jessica Parker pour le film Playboy à saisir, des douzaines de poissons et de calamars tués par l'utilisation d'effets spéciaux sous-marins pour obtenir Pirate des Caraïbes, etc. Tous ces films étaient pourtant surveillés de près par un représentant de l'AHA, et ont reçu l'agrément.
"C'est encore pire que s'ils ne faisaient rien. C'est comme si un policier ne faisait pas qu'ignorer un crime, mais qu'en plus, il aidait à le couvrir", explique ainsi Bob Ferber, un procureur général de Los Angeles qui avait tenté de mener l'enquête sur la mort de trois chevaux sur le tournage de la série Luck, qui avait conduit la chaîne HBO à annuler la série.
Selon des employés de l'AHA, qui ont témoigné anonymement de leurs conditions de travail, l'organisation dissimule à dessein la plupart des accidents qui se produisent sur les tournages, les qualifiant d'erreur plutôt que d'acte de négligence.
"Si nous reconnaissons que quelque chose s'est mal passé et qu'il ne s'agissait pas d'un tragique et imprévisible accident, dans ce cas nous sommes également responsables. L'AHA ne veut pas être tenue pour responsable", explique une employée.
Un phénomène qui s'explique également par le fait que l'institution est financée en grande partie par des grands groupes de cinéma, ouvrant la voie à des conflits d'intérêt majeurs lorsque l'AHA est chargé de contrôler le film d'un studio qui le finance.
La vétérinaire S. Kwane Stewart, qui dirige le programme "Aucun animal n'a été maltraité", se défend de tout "arrangement avec l'industrie du cinéma". Mais elle rappelle également que le rôle de l'AHA est "d'accompagner la vision du réalisateur".
Steven Spielberg est ainsi connu dans le milieu pour mettre une pression importante sur les contrôleurs de l'AHA afin d'obtenir l'agrément, rapporte le Hollywood Reporter.
L'association PETA, l'équivalent américain de notre Société protectrice des animaux (SPA), s'est dite inquiète de ces révélations. "Aussi longtemps qu'une organisation sera sous la pression de réalisateurs tout-puissants, les animaux seront toujours les perdants", réagit ainsi Kathy Guillermo, vice-présidente de l'association, qui milite notamment pour élargir les compétences de l'AHA.
Aujourd'hui en effet, les animaux en transit ou dans des enclos ne sont pas du ressort des inspecteurs du bien-être animal.
Bien sûr, la cruauté envers les animaux sur les tournages n'est pas un fait nouveau, rappelle le Hollywood Reporter, qui souligne que près de 100 chevaux étaient morts sur le tournage de Ben-Hur.
Mais depuis les années 1980, la signature d'une charte signée notamment par l'association des producteurs et des acteurs américains est censée préserver le bien-être des animaux de cinéma.
Les contrôleurs de l'AHA, qui ont un statut comparablet à celui des policiers, peuvent inculper des individus et même, en Californie, procéder à des arrestations.
Depuis 1980, près de 30 000 tournages ont ainsi été inspectés par l'AHA. Selon l'institution, près de 100 000 animaux par an sont ainsi surveillés.
Publié le 26 novembre 2013