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2 janvier 2012 1 02 /01 /janvier /2012 18:08
Les combats de coqs sont une tradition qui exprime la vigueur de l’identité créole. Mais, comme pour la corrida, elle est menacée. Reportage publié dans VSD n°1792 (du 29 décembre 2011 au 4 janvier 2012)

 

Chaque "pitts" (galodromes ou arénes) « fait battre » un jour par semaine.

 

Ames sensibles, s’abstenir. Alors que la saison des cyclones joue les prolongations, les coqs, au loin, donnent du ­gosier et leurs cris stridents envahissent l’espace.

 

Camille, soigneur professionnel, roule prudemment, pour éviter les nids de poule du sentier de terre battue raviné par les pluies.

 

Il rejoint le champ où est installé son élevage d’environ trois cents coqs.

 

L’homme, qui a fait mille métiers auparavant, élève ses propres volatiles et ceux d’autres propriétaires qui font confiance à son savoir-faire.

 

Sur le site, son « collègue » Alex est déjà à l’ouvrage.

 

Une dizaine de cages sont exposées au soleil (cela fait partie de l’entraînement) car les futurs combattants aiment la chaleur.

 

Leurs cuisses sont frictionnées avec un mélange d’eau et de citron pour épaissir la peau et la rendre plus résistante aux « picots ».

 

Sous l’effet combiné des UV et du citron, elle prend une couleur écarlate, « comme les touristes ! », plaisante Alex.

 

Tous les soigneurs sont intarissables sur leurs « bébés », élevés comme de vrais coqs en pâte jusqu’à l’âge de 10 à 14 mois.

 

La gymnastique est quotidienne.

 

L’entraînement au corps à corps avec un « planton » aussi.

 

Ce coq qui sert de punching-ball est là pour prendre les coups, comme à la boxe.

 

« Il y en a qui disent que c’est cruel, ­argumente Camille. Mais quand on regarde des courses de voitures, on voit des gens qui peuvent mourir dans un accident. C’est pas cruel, ça ? » 


Signe des temps, et qui prouve que les « pitts » (les arènes) génèrent une économie réelle en Martinique : de plus en plus de soigneurs professionnels arrivent à bien vivre de ce métier, en élevant les volatiles des autres.

 

« Chacun a ses secrets : de cuisine d’abord et d’entraînement ensuite. »

 

Car, explique Camille, « on parle de ­dopage dans le ­milieu des combats de coqs, mais tous les médicaments de la terre ne feront jamais d’un tocard un champion ! ».

 

Il n’empêche, aucun combattant n’entre dans l’arène sans avoir avalé ses vitamines, antibiotiques et vermifuge.

 

Autrefois, les anciens préparaient une ­fricassée avec leur bête morte dans le pitt. Aujourd’hui, plus personne ne s’y risque.

 

 

La journée de combats voit s’opposer des coqs de même poids : chaque arène « fait battre » un jour par semaine.

 

L’effervescence est intense autour de ces structures en gradins : marchandes de pistaches, de cacahuètes, ­pêcheurs profitent de l’affluence pour vendre leur production.

 

L’activité fait vivre une foule de petits métiers.

 

Pas négligeable, sur une île qui compte deux fois plus de chômeurs qu’en métropole.

 

Mais il n’y a pas que cela.

 

« Sa pa vié nèg é sé ta nou » (c’est pas vieux nègre et c’est à nous), lâche un passionné, les yeux rivés sur le cercle minuscule recouvert de feutre vert où ­s’affrontent les combattants.

 

« Plutôt l’indépendance s’“ils” y touchent ! » Boutade ? Peut-être.

 

Reste que, en Martinique, ce combat-là en cache un autre, celui de l’identité. Denis, passionné et lui-même éleveur amateur, connaît ses classiques : « Combien d’esclaves, comme le Chicken George du best-seller d’Alex Haley, Racines, ont gagné leur liberté parce qu’ils étaient de bons coqueleurs ? »

 

Introduit dans la Caraïbe par les Anglais (le mot pitt vient de l’anglais « pit », la fosse en terre battue) et les Espagnols, le jeu a été ­entretenu durant l’esclavage par les maîtres békés (les Blancs du pays), qui aujourd’hui ont totalement disparu des arènes.

 

Car le combat de coqs s’est « démocratisé » ­suivant la grande histoire des Antilles : émancipation, ­départementalisation.

 

Aujourd’hui, autour de l’arène, tous les hommes sont égaux.

 

Enfin, presque, car il y a l’aspect ­financier des paris, « qui n’est pas négligeable en temps de crise », précise un autre amateur, qui martèle une ­évidence : pour les Antillais, les jeux (PMU, Loto, paris en ligne) font partie de la vie sociale.

 

Même si les pitts de Martinique n’ont rien à voir avec les immenses gallodromes de Saint-Domingue ou de Mexico.

 

Ici, on est dans le « resserré », dans l’« intime », une arène minuscule où les parieurs se toisent de près dans une gouaille créole qui n’a rien à ­envier aux dialogues d’Audiard.


Pousser la porte d’une de ces structures, c’est entrer dans un territoire qui décrit la ­complexité du cocktail créole : origines ­européenne, africaine, amérindienne mêlées.

 

Un territoire ­fragile, menacé par les lobbies abolitionnistes qui réclament la levée du décret protégeant ­depuis 1964 cette pratique, tout comme la corrida, dans les localités « où elle relève d’une tradition ininterrompue ».

 

Ce débat aura lieu à l’Assemblée, peut-être après l’élection présidentielle.

 

Ce jour-là, les élus antillais ­devront convaincre leurs collègues métropolitains que le pitt fait partie intégrante de la Caraïbe.

 

Car, avec ou sans l’aval de la République, disent les aficionados, « on fera toujours battre les coqs aux Antilles ».

 

par Anne Cazales

http://www.vsd.fr/contenu-editorial/photo-story/l-oeil-de-vsd/321-destination-martinique-touche-pas-a-mon-coq

 

 

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commentaires

A
vigueur de l'identité ??????? quelle connerie !
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