Le monde de la chasse veut changer son image. En vain.
Chien de chasse. Image d'illustration | PHOTOPQR/MAXPPP/C CHAVIGNAUD
Les chasseurs se présentent comme les « gestionnaires » de la nature, et disent « réguler » la faune sauvage grâce à des « prélèvements » rationnels.
Leurs organisations représentatives, conscientes de l'image de plus en plus défavorable de la chasse de loisir, tenter de parer celle-ci de toutes les formules consacrées de l'écologie : « préservation de la biodiversité », « sauvegarde des espaces naturels », « protection des habitats », « participation au développement durable » etc
L'intéressante émission Global Mag, sur la chaîne Arte, traitait le mercredi 3 novembre du thème « Les chasseurs protègent-ils l'environnement ? ».
Y étaient confrontés (trop brièvement, mais c'est la loi du genre) Gérard Charollois, président de l’association CVN (Convention Vie et Nature), et Benoît Chevron, président de la FDC 77 (Fédération Départementale des Chasseurs de Seine-et-Marne).
Ecoutez-la, elle dure 6 minutes !
Voici quelques commentaires sur ces interventions.
1. Le « sondage »
La référence appuyée d'Émily Aubry, qui anime l'émission, au sondage de son partenaire MSN est triplement problématique, et intéressante à analyser au-delà de ce cas de figure :
a) Elle se réfère à « 11 000 votants », avec « 70 % » (une « écrasante majorité ») estimant les chasseurs « défenseurs de la nature ».
Or, au jour de la diffusion de l'émission (3 novembre 2010), ce sondage du « site partenaire » faisait état de quelque 25 860 votants, avec, à la question « Les chasseurs protègent-ils l'environnement ? », 50% de réponses positives, 46% de réponses négatives, et 4% de sans opinion.
En fait, Emily Aubry évoque l'état du vote lorsque l'émission a été enregistrée, 2 ou 3 semaines auparavant.
Par la suite, les choses ont évolué.
b) Mais de toute façon, les modalités de ce sondage sont pour le moins problématiques : comme c'est le plus souvent le cas des sondages en ligne, dès lors qu'on désactivait les cookies, ces petits logiciels qui permettent d'identifier l'intervenant, on pouvait voter autant de fois qu'on le voulait. Il paraît même que certains logiciels ad hoc permettent de voter à répétition...
Rappelons que la Fédération Nationale des Chasseurs dispose d'une « mission de conseil en communication et relations presse » très compétente en matière d'internet...
Et le moins qu'on puisse dire est qu'un nombre aussi imposant que 25 000 votants sur ce site, dont l'audience n'est quand même pas planétaire, pose question...
c) Enfin et surtout, en dernière analyse, les sondages en ligne n'ont pas la moindre valeur scientifique.
S'ils ont l'intérêt pour le site émetteur de mobiliser les lecteurs, donc de booster l'audimat, leurs résultats n'ont aucune valeur objective (pour couper court à toute polémique, je précise qu'ils n'en auraient pas eu d'avantage si les opposants à la chasse étaient sortis vainqueurs).
En effet, un résultat n'a de valeur qu'à partir du moment où l'échantillon de population qui s'exprime est statistiquement représentatif de la population générale.
C'est la condition sine qua non de tous les grands instituts de sondage (IFOP, CSA, LH2 etc), même si d'autres biais
peuvent toujours intervenir.
2. Les chasseurs et la grippe aviaire
Les chasseurs aiment à s'inventer non seulement des arguments écologiques, mais aussi des arguments sanitaires.
Je me permettrai d'y insister en tant que médecin.
Il fut un temps où c'était la rage.
Mais les tentatives d'extermination des renards sous ce prétexte n'ont jamais empêché la rage de se perpétuer : c'est le programmme de vaccination orale par appâts qui en est venu à bout.
Il s'agit maintenant souvent de l'échinococcose (maladie parasitaire), toujours à propos du renard.
Outre que l'observation précédente garde toute sa validité, précisons qu'il s'agit d'une zoonose extrêmement rare, de l'ordre de 14 cas par an en moyenne sur tout le territoire français, exceptionnellement mortelle, et absente des trois-quarts des départements français.
Nous n'échappons pas à ce type d'argument dans l'intervention de Benoît Chevron, président de la FDC77.
Tablant sur le fait que cinq animaux abattus sur six sont des oiseaux, il se rabat sur la grippe aviaire : « quand il y a eu grippe aviaire, le suivi sanitaire de la faune sauvage a été fait par les chasseurs ».
Pour rappel, la grippe aviaire (H5N1) est une affection virale touchant les oiseaux.
La contamination humaine reste exceptionnelle, mais la crainte d'un réassortiment génétique qui rendrait possible une transmission interhumaine suscite la vigilance des autorités sanitaires.
Les mesures de précaution varient selon les niveaux de risque épizootique.
Pour ce qui est du suivi sanitaire, l'ONCFS (Office national de la chasse et de la faune sauvage) est bien obligé de collaborer avec les FDC dans le cadre du réseau SAGIR (chargé de la surveillance sanitaire de la faune sauvage), vu les fonctions ubuesques dévolues aux associations de chasseurs par la législation française (sans parler de la surreprésentation de celles-ci au conseil d'administration de l'ONCFS).
Mais la réalité serait plutôt de dire que les chasseurs ont été source d'inquiétude durant la période de vigilance autour de la grippe H5N1, notamment entre octobre 2005 et octobre 2007.
Ceci pour deux ordres de raisons.
D'une part, les chasseurs étaient censés, en période et en zone de risque, prendre des précautions d'hygiène (lavage, nettoyage), éviter le contact avec les oiseaux captifs, ne pas faire voler les plumes lors de la plumaison, utiliser des gants...
On imagine mal les chasseurs s'astreindre globalement à ces contraintes (il suffit de les lire s'exprimer sur leurs forums).
Si l'épizootie s'était confirmée, de nombreuses disséminations auraient été à craindre par leur intermédiaire.
D'autre part, l'usage de ce qu'on dénomme les « appelants » était particulièrement problématique.
Cette pratique consiste en l'utilisation d'oiseaux d’eau élevés en captivité, pour attirer leurs congénères sauvages sur le lieu de chasse.
Pratique qui est loin d'être marginale, puisqu'elle concerne près de 150 000 chasseurs et environ un million d’oiseaux appelants.
Les pouvoirs publics avaient été amenés, sur le conseil d'agences scientifiques comme l'AFSSA (Agence française de sécurité sanitaire des aliments), à restreindre et à règlementer plus strictement l'usage d'appelants, afin d'éviter de possibles contaminations en chaîne, notamment donc entre fin 2005 et fin 2007.
Or, les chasseurs n'ont eu de cesse de critiquer cette mesure, et de lutter contre elle par tous les moyens de pression possibles.
Et si certains de ces moyens de pression était légaux (par exemple la multiplication de questions au gouvernement par des députés et des sénateurs acquis au lobby cynégénétique), d'autres étaient beaucoup plus contestables.
Ainsi, dès l'annonce des premières mesures d'interdiction des appelants en octobre 2005, le président des chasseurs de la Gironde estimait les mesures « totalement absurdes et inapplicables », et déclarait qu'elles susciteraient la « colère de tous les chasseurs de migrateurs de France
Le 18 février 2006, alors même qu'un premier cas de grippe aviaire en France était confirmé sur un canard sauvage (d'autres allaient suivre), des centaines de chasseurs bloquaient un pont en Normandie pour protester contre les restrictions imposées par le gouvernement.
En août 2007, l'AFSSA ayant émis un avis défavorable sur l'utilisation et le transport des appelants en prévision des mouvements migratoires à venir, le président de l'ANCGE (Association nationale des chasseurs de gibier d'eau), jugeait cette décision « aberrante » et laissait entendre que les chasseurs « ne vont pas respecter l'interdiction ».
Bref, l'affaire des appelants est emblématique de l'attitude générale des chasseurs : dès lors qu'on veut limiter leur passion de tuer pour des raisons réellement écologiques ou sanitaires, ils appellent à passer outre les avis scientifiques, administratifs ou juridiques. ».
En rappelant l'épisode de la grippe aviaire, Benoît Chevron s'est tout simplement... tiré une balle dans le pied.
3. Les lâchers de gibier
Gérard Charollois rappelle que « plus de 30 millions d'animaux sont tués chaque année en France par la chasse, et sur ces 30 millions il y en a plus de 20 millions qui sont lâchés, qui sortent des caisses des éleveurs pour alimenter le stand de tir. »
On remarquera que son contradicteur n'a nullement contesté ces chiffres effarants.
Et sur les plus de 150 commentaires qui ont à cette heure fait suite à ce débat, pas un partisan de la chasse ne les conteste non plus.
De même, sur un article paru sur Internet il y a un an, qui faisait état de cette même proportion, on ne trouvait non plus, parmi les dizaines de commentaires, aucun qui contestait ces chiffres.
Pourtant, on sait que la FNC (Fédération Nationale des Chasseurs) exerce une veille internet farouche.
C'est bien entendu tout simplement que ces chiffres sont exacts.
Pour plus de précisions et de références, lire ceci.
Oui, deux animaux sur trois sont élevés, puis lâchés dans la nature pour se faire tirer dessus.
Vous avez dit régulation ?...
4. La régulation de la nature
Concluons sur l'inénarrable perle de Benoît Chevron : « si on laissait faire la nature, la nature ne se régule pas toute seule, malgré ce que voudraient dire certaines personnes ».
Le concept de régulation de la nature par la chasse a fait son apparition dans l'arsenal marketing des associations cynégétiques voici une vingtaine d'années.
Par quel miracle cette malheureuse nature livrée à elle-même a-t-elle pu se réguler toute seule durant les quelques milliards d'années précédentes ?...
Il était temps que les Fédérations de chasseurs prennent les choses en main, nous l'avons échappé belle !
Une publication dans Nature ou dans Science s'impose !
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Pour en savoir plus :
Pour en finir avec la chasse, de Gérard Charollois, IMHO, 2009.
Pour la séparation de la chasse et de l'état, d'Armand Farrachi, Droits des Animaux, 2009.
Sources : Arte.tv, Arrêt sur images, Pandemie-grippale.gouv.fr, Univers-nature.com, TF1 News, Actu.ma, Agoravox, Stopauxlachersdetir.com
Par Jean-Paul Richier
http://www.lepost.fr/article/2010/11/05/2294339_les-chasseurs-protegent-ils-l-environnement.html